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![]() Vivre sans être, sans existence Lorsque je vous ai rencontrés, c’était dans un Centre pour déficients d’Aix-en-Provence, vous n’aviez pas la parole, les déficients en avaient une, eux, faible, désarticulée, une parole qui n’était sans doute pas la leur, mais qu’ils utilisaient avec acharnement. Quoi d’autre ? votre intelligence, si vive, cette oreille absolue de l’autre, votre regard sur nous qui arrivions ! les cicatrices étaient vite arrachées ; ceux d’entre nous qui aimions la vérité rendaient la parole à leurs plaies, les autres fuyaient ou se refermaient sur leur plainte. Quoi d’autre encore ? le refus, le refus de l’enfermement, la méfiance farouche à notre égard, mais aussi la fréquentation de ceux qui n’étaient pas chargés de vous et qui donc ne vous enfermaient pas, cuisinier, femmes de ménage, ouvriers d’entretien sinon, les fugues, les trous dans le grillage, le désespoir et la tentation du puits… Avec vous une alliance pour un peu de liberté et de l’humanité pour vous, pour nous : changer de position - de changeur en échangeur ! Et un jour, l’aventure… Madame Marie-Jo Schmitt donne les moyens d’un projet qui développerait cette alliance - pour l’humain de toutes parts. J’irai vous chercher un à un, toi, dans les montagnes cévenoles, toi et toi à l’hôpital psychiatrique et puis d’autres viennent vous rejoindre et ce sont les deux premières maisons de la Bourguette à La Tour-d’Aigues et à Cucuron, dans ce pays d’Aigues si lumineux. Ce pays avec vous retrouvait la mémoire des Vaudois massacrés à qui il avait donné refuge, et à nouveau le voilà qui fait l’hospitalité et c’est à vous qu’il la fait.
1 Mêmement Pour inscrire clairement notre projet dans le pays nous avons voulu d’abord créer les premières Maisons de la Bourguette au coeur des villages de Cucuron et de La Tour-d’Aigues et seulement l’année suivante l’espace des activités à la ferme de la Bourguette et y aménager deux nouvelles maisons moins exposées mais tout aussi en lien avec le village. Une maison acquise dans le centre du village de La Tour, au 13, rue des Remparts, abrita les bureaux et servit de point de passage entre les différents lieux de l’Institution et les familles. A sa première rencontre avec nous, dans la salle du rez-dechaussée dont la fenêtre donne sur la rue, Daniel, indifférent, tourne les pages d’un livre d’images, tandis que ses parents sont très émus en ce moment de l’admission de leur fils (unique), admission en internat… en clair une certaine séparation! La maman s’enquiert de tous les détails de la nouvelle existence à venir de son fils (de leur fils), et exige de voir la chambre qu’il occupera dans une des maisons de la ferme… Nous lui parlons de l’intérêt d’un chez lui pour se faire lui et qu’elle, si douloureusement démunie, pourrait enfin l’aider d’une façon essentielle, en lui reconnaissant quelque chose de totalement personnel, car elle se doute bien que si elle visite cette chambre, même s’il ne l’apprenait jamais, il le saura du fait de son autisme, il n’y sera pas chez lui mais chez elle-lui et se verra conforté dans la confusion d’elle avec lui, comme elle le sait. Tout en protestant vivement, elle nous dit qu’il est vrai qu’elle vit comme confondue avec lui. Bien qu’elle trouve cela naturel après tout, elle en déplore parfois les conséquences très pénibles : « C’est le handicap de l’autisme ! » Lui vient alors le souvenir d’une première séparation, quand Daniel avait deux ans _ il était normal et sans problèmes de santé ; un sentiment de dépendance totale, de perte de soi l’a contrainte brutalement à l’envoyer dans une maison de repos, qu’elle choisit entre deux proposées, une maison dans un village de montagne lointain, mais qui porte le même nom que leur propre village ! A ce moment-là, Daniel se dresse dans une extrême excitation en désignant un chiffre sur la page du livre qu’il feuilletait et nous entraîne dans la rue, quelques mètres plus haut, pour nous montrer le même chiffre au-dessus de la porte d’un voisin qu’ils avaient longée en venant !
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